«Plusieurs SMR progressent rapidement vers leur mise sur le marché»
Diane Cameron, directrice de la division «Nuclear Technology Development and Economics» à l’Agence pour l’énergie nucléaire (AEN) de l’OCDE, nous donne un aperçu du degré d’avancement des petits réacteurs modulaires sur la voie menant à leur commercialisation ainsi que des défis et opportunités liés à la mise sur le marché des SMR en général.
Madame Cameron, quels sont les atouts des SMR et à quelles applications se prêtent-ils tout particulièrement?
Les SMR ont le potentiel de résoudre un certain nombre de défis énergétiques qu’il est très difficile de surmonter par d’autres moyens. Tout comme les réacteurs de puissance, les SMR peuvent eux aussi produire de l’électricité destinée à alimenter le réseau. Mais ils présentent en outre l’avantage de pouvoir être déployés en des lieux où les réacteurs de puissance ne peuvent être exploités ou ne sont pas nécessaires. Un certain nombre de SMR pourraient se prêter à l’alimentation de réseaux d’électricité relativement petits, voire à un approvisionnement en électricité indépendant du réseau. Il va de soi qu’ils peuvent aussi fournir de la chaleur, par exemple pour l’industrie lourde ou l’exploitation minière. Une fois que les SMR seront disponibles commercialement, ils offriront vraisemblablement toute une série de possibilités et de solutions pour ces branches difficiles à décarboner.
Il est important de comprendre que le marché mondial peut – et va probablement – soutenir plusieurs concepts de SMR. Certes, nous ne pensons pas que 80 SMR vont arriver sur le marché. Mais il y aura de la place pour des SMR de différentes tailles présentant un certain éventail de caractéristiques techniques et de températures de sortie du caloporteur. Les SMR se prêteront donc à différentes applications: production d’électricité au sein du réseau (on-grid), hors réseau (off-grid) ou en combinaison avec un réseau peu fiable (edge-of-grid), et éventuellement mise à disposition de différentes températures de sortie pour des applications thermiques industrielles et pour les réseaux de chauffage à distance.
Il existe aussi des pays qui envisagent d’utiliser des SMR pour la propulsion de navires marchands. À mon avis, nous verrons apparaître une poignée de technologies propres à répondre à ces différents besoins. En fin de compte, plusieurs conceptions de SMR sont susceptibles d’être déployées et commercialisées avec succès à l’échelle mondiale. Il est donc peu vraisemblable qu’une seule conception de SMR s’impose dans le monde entier. Il est plus probable que nous nous trouverons en présence d’un petit nombre de conceptions destinées à différentes applications.
Quelques SMR, dont le HTR-PM chinois, sont déjà en service, et l’ACP100 est en construction. À quand estimez-vous l’arrivée sur le marché d’autres SMR?
S’agissant des SMR destinés à alimenter le réseau, l’un des premiers modèles qui devraient entrer en service commercial dans un pays de l’OCDE est le BWRX-300 de GE Hitachi Nuclear Energy. L’exploitant Ontario Power Generation a déjà entamé des travaux préparatoires à sa construction sur le site de la centrale nucléaire de Darlington, près de Toronto, au Canada, et il progresse avec régularité vers une exploitation commerciale prévue à l’horizon 2029. Aux États-Unis, quelques autres SMR pourraient se situer dans un cadre temporel similaire.
Je pense que nous verrons également apparaître quelques microréacteurs destinés à des applications hors réseau, notamment sur des sites miniers reculés. Si ces microréacteurs franchissent l’étape du démonstrateur, la demande émanant de sites industriels pourrait croître très rapidement jusqu’à un niveau considérable. Nous estimons que des installations de démonstration pourraient être disponibles d’ici le milieu ou la fin des années 2020.
Quelles sont les conditions à remplir pour que la production d’énergie au moyen de SMR soit financièrement intéressante et que les SMR puissent s’imposer sur le marché?
La première condition, et elle est fondamentale, c’est l’engagement à décarboner. Dès lors qu’il est pris, un tel engagement – qu’il découle d’une décision politique, de dispositions légales ou qu’il soit librement consenti – implique une discussion sérieuse. À partir du moment où l’on renonce par principe à recourir au charbon, le fait que ce dernier constitue la solution la plus économique ne joue plus aucun rôle. Par conséquent, le premier facteur de rentabilité des SMR est un cadre politique qui rende la décarbonation incontournable.
Il se peut que le nucléaire ne soit jamais compétitif là où de l’électricité d’origine hydraulique est disponible en grande quantité et à faible coût. En l’absence d’hydroélectricité, il est en principe possible de recourir aux énergies renouvelables, mais vu leur caractère intermittent, celles-ci doivent être soutenues soit par des batteries, soit par du stockage, soit par de l’énergie nucléaire. Dans ce contexte, l’atome peut devenir un élément important du mix énergétique.
Il existe plusieurs approches pour améliorer la rentabilité des SMR. L’avenir dira si elles sont efficaces. La construction modulaire, la simplification de la conception, la fabrication en usine des gros composants du SMR, voire du SMR entier, et la production en série sont autant de pistes susceptibles de réduire le coût de ce type de réacteur. La première installation sera toujours la plus chère. Puis on apprend par l’expérience. Le savoir acquis lors de la construction de la deuxième installation permet de réduire les coûts de la troisième, et ainsi de suite. Tôt ou tard, on en arrive à un rythme très efficace de fabrication et de construction, à condition que les projets se suivent à intervalles suffisamment rapprochés. Des intervalles de 20 ans entraînent la perte des connaissances et de l’expérience acquises, si bien que les coûts repartent à la hausse.
Un certain nombre de pays ont dû et doivent encore réapprendre beaucoup de choses à partir de zéro, car cela fait longtemps qu’ils n’ont plus construit de centrales nucléaires en respectant des exigences strictes en termes de calendrier et de budget. Bon nombre d’entre eux ont certes, par le passé, construit des centrales nucléaires dans les délais et le cadre budgétaire impartis, mais toujours dans des périodes où les projets se succédaient à intervalles rapprochés. Entre 1975 et 1990, la France a par exemple construit et mis en service 52 réacteurs nucléaires. D’un point de vue économique, c’était formidable qu’elle y parvienne aussi rapidement. Aujourd’hui, il est possible de réacquérir cette efficacité dans la construction tout en abaissant les coûts, mais cela requiert une approche programmatique.
Il y a aussi l’innovation numérique et les méthodes de fabrication avancées, ainsi que toutes les précieuses connaissances acquises dans d’autres secteurs en matière de gestion de projet et de stratégies d’approvisionnement en biens et services. Nous devons mettre à profit toute cette expérience et l’intégrer dans nos processus de travail par la répétition et l’entraînement.
Existe-t-il des défis majeurs susceptibles d’entraver la commercialisation des SMR?
Il y a bien entendu un certain nombre de défis à relever. Le premier est le manque de spécialistes et de main-d’œuvre qualifiée. Dans la branche nucléaire, bon nombre des collaborateurs les plus expérimentés partent à la retraite. Il nous faut former des jeunes, et nous avons besoin d’un bon vivier de talents. La Chine et la Russie forment un grand nombre d’ingénieurs et prennent des mesures pour s’assurer de tels viviers. Il serait souhaitable que l’Europe et l’Amérique du Nord en fassent davantage en ce sens.
La chaîne d’approvisionnement constitue un deuxième défi. Nous savons que nous pouvons reconstruire des chaînes d’approvisionnement mais, dans les pays qui avaient autrefois une chaîne d’approvisionnement et qui l’ont ensuite laissée dépérir pendant de nombreuses années faute d’investissements, cela prendra un certain temps. Nous savons ce qu’il y a à faire. Il nous faut simplement commencer à construire, et la chaîne d’approvisionnement gagnera alors en efficacité. Il nous faut aussi prêter attention à la chaîne d’approvisionnement en combustible.
Le troisième défi est lié au degré de préparation des règlementations. Certaines autorités de surveillance se préparent à déployer des SMR dans leur propre pays, et de nombreux promoteurs de la technologie SMR espèrent une plus grande harmonisation ou plus de coopération entre les différentes autorités de surveillance, afin qu’une technologie approuvée dans un pays puisse être utilisée dans les autres, sans qu’il faille à chaque fois la réexaminer sous toutes les coutures en partant de zéro. Cette problématique est en discussion au sein de l’Agence pour l’énergie nucléaire, et une initiative a été lancée par l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) pour améliorer la coopération et le partage d’informations entre autorités de surveillance. Il s’agit d’un défi de taille qui aura des répercussions sur les coûts et les calendriers. Une coopération entre les autorités de surveillance permettrait d’améliorer l’efficacité et de réduire les coûts. Voilà les principaux points sur lesquels nous travaillons actuellement.
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Informations de fond: Les avantages de la sûreté passive
L’un des aspects les plus intéressants des SMR avancés est l’approche de la sûreté adoptée par de nombreux développeurs, explique Diane Cameron. Dans ce contexte, on parle de «sûreté passive», de «walk-away safety» ou de «sûreté intrinsèque». L’idée est de tirer les leçons des plus de 60 ans d’expérience accumulés dans l’exploitation de centrales nucléaires et d’exploiter au mieux les lois de la physique. De cette manière, il est possible de simplifier les conceptions et de passer de ce que l’on appelait naguère la sûreté active – qui nécessitait un effort technique important et des interventions humaines – à une sûreté passive basée sur les seules lois de la physique. Si les développeurs réussissent à prouver que leurs conceptions atteignent ces objectifs, les applications possibles des SMR s’en trouveront considérablement étendues.
Diane Cameron
Biographie
Diane Cameron est directrice de la division «Nuclear Technology Development and Economics» à l’Agence pour l’énergie nucléaire (AEN) de l’OCDE. À ce titre, elle dirige une équipe d’experts (économistes et scientifiques) qui soutient les pays membres de l’AEN en matière de politique énergétique et nucléaire en réalisant des études et des analyses basées sur des données factuelles faisant autorité dans différents domaines liés à l’atome (économie, financement, réduction des coûts, technologie, innovation et cycle du combustible).Auteur
Dr. Benedikt Galliker, Rédacteur technico-scientifique, Forum nucléaire Suisse / Traduction: Dominique Berthet
Source
Publication de l'AEN «NEA Small Modular Reactor Dashboard»
Publication de l'AEN «NEA Small Modular Reactor Dashboard: Volume II»
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