L’intelligence artificielle au service de l’énergie nucléaire

L’intelligence artificielle (IA), cet ensemble de systèmes informatiques sophistiqués qui simulent la logique humaine pour résoudre des problèmes et prendre des décisions, présente un important potentiel pour notre secteur d’activité. Grâce à sa capacité à améliorer à la fois l’efficacité, l’automatisation, la sûreté et la maintenance prédictive tout en optimisant les processus, l’IA progresse déjà dans certains domaines de l’industrie nucléaire.

6 mai 2024
IAEO-KI
L’intelligence artificielle a fait l’objet d’une manifestation parallèle lors de la 67e Conférence générale de l’AIEA.
Source: AIEA / Dean Calma

L’IA est un terme générique qui englobe diverses technologies développées au fil des décennies. Elle peut aller de simples programmes informatiques, tels que les filtres antispam, à des concepts plus avancés comme l’apprentissage automatique (machine learning), par lequel les ordinateurs, grâce à un entraînement intensif reposant sur de gigantesques quantités de données, améliorent leur capacité à résoudre des tâches sans être explicitement programmés pour chacune. Avec l’arrivée de circuits intégrés très puissants est apparu l’apprentissage profond (deep learning), sous-domaine de l’apprentissage automatique faisant appel à des réseaux neuronaux artificiels calqués sur le cerveau humain.

L’IA générative, qui s’appuie sur des modèles d’apprentissage profond pour créer des contenus, captive le public grâce à sa capacité de générer des images, des vidéos et des textes originaux. Très polyvalente, elle peut être adaptée à de nombreuses fonctions ou activités. «On est en droit d’être enthousiasmé par ce que les outils génératifs peuvent faire», déclare Jeremy Renshaw, qui dirige les travaux concernant l’IA, les technologies quantiques et l’innovation nucléaire à l’Electric Power Research Institute (EPRI) américain. «Les modèles actuels sont déjà très performants et des efforts intenses sont actuellement déployés pour développer des outils encore plus puissants.»

En raison de son caractère nouveau et opaque, l’IA générative ne peut pas encore être utilisée dans le cadre de l’exploitation des centrales nucléaires, même si elle est susceptible de faciliter certaines tâches administratives, comme dans d’autres secteurs. En effet, on ne comprend pas encore très bien comment les réseaux artificiels fonctionnent et parviennent à des conclusions. Des systèmes plus transparents, appelés «IA explicable», laissent espérer une extension de son utilisation à l’exploitationdes installations. Des développements en ce sens sont en cours et M. Renshaw est convaincu qu’ils devraient permettre aux centrales nucléaires de faire appel à l’IA dans un avenir prévisible.

Les applications de l’apprentissage automatique (machine learning)

Utilisé dans le secteur nucléaire depuis un certain temps déjà, l’apprentissage automatique s’est avéré utile dans différents domaines. Les exploitants se servent des algorithmes d’apprentissage automatique pour la surveillance en temps réel et la maintenance prédictive. Les modèles d’apprentissage automatique passent au crible les informations fournies par les capteurs, ce qui permet aux analystes humains de se concentrer sur les éventuelles irrégularités présentes dans une fraction de l’ensemble des données collectées. «L’inspecteur n’a besoin d’examiner que les données pertinentes. Il n’a pas à chercher une aiguille dans une botte de foin, car nous éliminons la botte de foin», explique M. Renshaw.

Cette technologie ne remplace pas l’analyse humaine. Cependant, elle peut fournir des résultats plus rapides et plus fiables tout en s’appuyant sur une interaction humaine moindre, bien que toujours indispensable. L’apprentissage automatique est déjà utilisé pour détecter les fissures dans les cuves et les tuyaux métalliques des centrales nucléaires. Il permet d’accroître la précision, de réduire les coûts et d’optimiser la surveillance humaine, ce qui pourrait constituer un progrès significatif pour la branche.

Les applications potentielles de l’IA dans les centrales nucléaires sont nombreuses. L’IA pourrait, par exemple, assurer  l’ajustement de la production d’électricité en fonction de données recueillies en temps réel comme la demande des consommateurs, les conditions météorologiques et la performance des équipements. L’automatisation à l’aide de la robotique et de systèmes d’IA pourrait permettre de gérer les tâches courantes, de concentrer l’intervention humaine sur les tâches à forte valeur ajoutée et d’améliorer l’efficacité de la centrale. Elle permettrait également d’optimiser la consommation de combustible et de maximiser la production d’énergie des réacteurs.

«Associée à d’autres technologies, comme les jumeaux numériques, l’IA pourrait considérablement accroître l’efficacité de la production d’énergie d’origine nucléaire», indique Nelly Ngoy Kubelwa, ingénieure nucléaire spécialisée dans les technologies innovantes à l’AIEA. Un jumeau numérique est une représentation numérique d’un objet physique, d’une personne ou d’un processus, capable de simuler des situations réelles et leurs résultats.

Selon Mme Ngoy Kubelwa, les solutions d’IA suscitent un vif intérêt dans la filière. Cela étant, avant qu’une nouvelle technologie puisse être mise en œuvre dans les centrales nucléaires, il faut que les organismes de réglementation en connaissent et en comprennent parfaitement le fonctionnement pour être en mesure d’élaborer des lignes directrices et de délivrer les autorisations nécessaires à son utilisation.

«Il existe de nombreuses discussions autour de la question de savoir si l’IA, et en particulier l’IA générative, est quelque chose de radicalement différent qui nécessite que nous changions complètement notre approche pour réglementer son utilisation ou bien si nous pouvons adapter les normes actuelles», explique Mme Ngoy Kubelwa. «Pour étendre l’utilisation de cette technologie, nous devons définir des cadres en collaboration avec les organismes de réglementation.»

L’AIEA soutient l’application potentielle de l’IA dans les centrales nucléaires depuis 2021. Elle a élaboré un rapport sur l’IA et créé par la suite, sous les auspices du Réseau international pour l’innovation à l’appui des centrales nucléaires en exploitation (ISOP), des groupes de travail qui se concentrent sur les aspects réglementaires et techniques du déploiement de l’IA. Les publications à venir sur les applications de l’IA dans le secteur nucléaire et leurs implications en matière de sûreté soulignent cet engagement. L’AIEA dirige également un projet de recherche coordonnée visant à étudier comment l’IA et les technologies innovantes peuvent contribuer à accélérer le déploiement des petits réacteurs modulaires, et elle envisage la création de centres collaboratifs dédiés à l’IA.

Pour Mme Ngoy Kubelwa, le sujet n’est pas seulement technique. «L’utilisation de l’IA et d’autres technologies émergentes sera le signe que le secteur nucléaire suit de très près les nouveaux développements», déclare-t-elle. «Il est essentiel de nous engager sur ce terrain de manière proactive pour susciter l’intérêt de la jeune génération, qui est crucial pour assurer l’avenir de la production d’énergie d’origine nucléaire.»

Dr. Wolfgang Picot

Wolfgang Picot est attaché de presse / RP à l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA). Auparavant, il a exercé différentes activités auprès de l’AIEA, du ministère américain des Affaires étrangères et d’Ars Electronica Linz GmbH. M. Picot est titulaire d’un doctorat en sciences politiques décerné par l’Université de Vienne.

Publié initialement dans le Bulletin de l’Agence internationale de l’énergie atomique de septembre 2023, vol. 64-3, sous le titre «Renforcer la production d’énergie nucléaire grâce à l’intelligence artificielle», cet article est repris ici sous une forme légèrement adaptée.

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