Fraude alimentaire: mieux la détecter grâce à la technologie nucléaire
La fraude alimentaire touche avant tout les denrées alimentaires coûteuses comme le miel de manuka ou certaines sortes de café. Mais elle peut aussi viser des produits comme l’huile d’olive, avec à la clé de potentiels problèmes de santé chez les personnes allergiques. Afin de mieux la détecter, les scientifiques de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) soutiennent l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) par des programmes de recherche et de coopération.

Saviez-vous que les aliments présents dans votre cuisine ne répondent pas forcément aux exigences de qualité en vigueur, qu’ils n’ont peut-être pas été produits à l’endroit indiqué sur l’étiquette, ou que cette dernière ne reflète pas nécessairement leur composition réelle? Phénomène de plus en plus répandu, la fraude alimentaire s’étend au monde entier et nuit aux exportations. La Suisse n’y échappe pas. Pas plus tard que le 11 novembre, le «Blick» a d’ailleurs consacré un article au démantèlement d’un réseau international de fraude vinicole («La police suisse aide à démasquer des faussaires du vin»).
De nombreuses personnes privilégient les produits de certaines marques ou origines, car ils sont connus pour leur bonne qualité ou pour des propriétés particulières. Le miel de manuka, avec son effet antibactérien, en est un exemple. Bien des consommateurs n’hésitent pas à débourser des sommes élevées pour de tels aliments, ce qui attire les contrefacteurs. L’AIEA a dressé la liste des méthodes de fraude les plus courantes: contrefaçon (imitation d’un nom de marque, d’un logo, d’une recette ou de techniques uniques), amélioration non autorisée (ajout de substances inconnues ou non déclarées), dilution (mélange avec un liquide de moindre qualité pour réduire les coûts de production), adultération (remplacement d’ingrédients de qualité par des ingrédients meilleur marché), dissimulation (d’ingrédients ou de produits de mauvaise qualité), et étiquetage trompeur (apposition de fausses informations sur l’emballage ou l’étiquette). L’organisation souligne que la fraude alimentaire – c’est-à-dire tout «acte intentionnel visant à tromper les consommateurs sur la qualité et le contenu de produits alimentaires dans un esprit de lucre» – ne porte pas seulement «préjudice au portemonnaie du consommateur et au commerce international, mais peut également mettre en péril la santé et la sécurité publiques».
Montant exact du préjudice inconnu, mais action urgente indispensable
«Il faut partir du principe que seule une petite partie des cas de fraude alimentaire est découverte. La plupart du temps, les consommateurs ne reçoivent aucune information sur la fraude alimentaire ou sont alertés bien trop tard, quand la fraude a déjà eu lieu», indique la Commission fédérale de la consommation (CFC) dans une recommandation d’avril 2021 sur la fraude domaine alimentaire en Suisse. «En tant que pays où la vie est chère, la Suisse est une cible de choix pour les fraudeurs», ajoute la CFC. Il n’existe cependant pas de chiffres précis pour notre pays. Comme l’écrivait le Tagesanzeiger en décembre 2022: «[…] l’Office fédéral de la sécurité alimentaire et des affaires vétérinaires (OSAV) n’est pas en mesure de chiffrer l’ampleur de la fraude alimentaire et des dommages qui en résultent».
L’AIEA estime elle aussi qu’on peut difficilement chiffrer l’impact de la fraude, car celle-ci «se veut indétectable». L’organisation indique néanmoins que selon certains experts, ce phénomène ferait perdre 40 milliards de dollars par an (CHF 35 mia.) à l’industrie agroalimentaire mondiale. De plus, le risque de fraude alimentaire est difficile à atténuer, «car il est présent à chaque étape de la chaîne d’approvisionnement» et «certaines fraudes ne peuvent pas être détectées sans matériel spécialisé». Dans les pays en développement, «le problème est aggravé par le manque de moyens techniques».

Pour lutter contre la fraude touchant des aliments de qualité comme certains miels, le café et les spécialités de riz, l’AIEA a lancé en 2019, pour cinq ans, un programme de recherche regroupant des experts de 16 pays: Chine, Costa Rica, Danemark, Espagne, Inde, Indonésie, Italie, Jamaïque, Japon, Malaisie, Maroc, Myanmar, Nouvelle-Zélande, Slovénie, Thaïlande et Uruguay.
Mené en collaboration avec l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), ce programme vise à améliorer l’application des techniques nucléaires et apparentées pour vérifier l’étiquetage alimentaire, lutter contre la fraude et protéger la santé publique. Concrètement, il s’agit de déterminer l’origine géographique des aliments, de vérifier leur authenticité et de détecter les contrefaçons au moyen, notamment, de la méthode dite de l’analyse des isotopes stables (voir p. 23).
Les cibles privilégiées des fraudeurs: miel, huile d’olive et fruits de mer
Selon l’AIEA, l’huile d’olive (appréciée pour ses effets bénéfiques sur le cœur), les fruits de mer (recherchés pour leurs acides gras essentiels de type oméga 3) et le miel (prisé pour sa douceur naturelle et ses effets bénéfiques sur la santé) comptent parmi les produits les plus touchés par la fraude alimentaire.

Sur le pourtour méditerranéen, la bactérie Xylella fastidiosa, extrêmement agressive, décime les oliviers, entraînant de mauvaises récoltes et une hausse considérable du prix de l’huile d’olive. Les médias ont abondamment parlé des huiles d’olive allongée ou à l’étiquetage trompeur. «L’huile d’olive peut être coupée avec des huiles de substitution moins chères comme l’huile de tournesol, de colza ou même de noisette, ce qui présente un risque pour la santé des personnes allergiques», relève l’AIEA, précisant que cette pratique a aussi des conséquences sur la sécurité alimentaire, car l’huile frelatée peut contenir d’autres composants plus ou moins toxiques. Toujours selon l’AIEA, la fraude sur le miel, également très répandue, consiste à ajouter à ce produit des édulcorants bon marché, comme du sirop de maïs à forte teneur en fructose. Les outils de dépistage rapide et l’analyse des isotopes stables aident à détecter les contrefaçons en contrôlant les allégations quant à l’origine botanique ou géographique du produit. On peut ainsi distinguer le vrai miel de manuka – dont le prix est élevé – des versions contrefaites. Le miel de manuka est produit par les abeilles mellifères à partir du nectar des fleurs du myrte des mers du Sud (arbre manuka), qui pousse dans les régions montagneuses de Nouvelle-Zélande et du sud-est de l’Australie. Ce miel est notamment utilisé pour favoriser la cicatrisation des plaies. Selon sa teneur en substances antimicrobiennes, il peut coûter jusqu’à 900 francs le kilo, ce qui en fait un produit très lucratif pour les fraudeurs.
S’agissant des poissons et des fruits de mer, une étude de la FAO parue en 2018 montre que l’étiquetage trompeur est fréquent: on vend une espèce de poisson ou de fruit de mer relativement bon marché sous le nom d’une variété plus chère. Cette pratique n’a pas seulement pour effet de duper les consommateurs: elle compromet également les efforts visant à protéger les populations piscicoles menacées par la surpêche. Ces dernières années, différentes mesures et évolutions en matière de lutte contre la fraude ont permis d’améliorer la transparence de la chaîne d’approvisionnement et la précision de l’étiquetage. L’analyse des isotopes stables, en particulier, est de plus en plus utilisée. Elle permet aux scientifiques de vérifier si les produits sont correctement étiquetés et même de distinguer entre poissons d’élevage et poissons sauvages.
Parmi les autres cibles des contrefacteurs, on trouve les truffes blanches slovènes «tuber magnatum pico», vendues à plusieurs milliers d’euros le kilo, et certaines variétés de café comme le «Jamaica Blue Mountain», qui coûte plus de 100 francs le kilo. Mais des épices bon marché comme le paprika n’échappent pas nécessairement à la triche.
Le besoin de méthodes d’analyse se fait également sentir pour le riz hom mali (riz au jasmin) thaïlandais qui, selon l’AIEA, peut notamment être la cible d’étiquetage trompeur. Cette variété de riz à long grain de qualité supérieure, qui dégage une agréable odeur de jasmin à la cuisson, représente 13 à 18% des exportations de riz du pays. Elle est cultivée dans le nord et le nord-est de la Thaïlande, où les conditions climatiques et les propriétés du sol sont idéales. «Nous n’avons pas de laboratoire pour effectuer ce type d’analyse, déclarait en 2019 Wannee Srinuttrakul, chercheuse à l’Institut thaïlandais de technologie nucléaire, c’est pourquoi je voudrais apprendre à utiliser cette méthode».
Les isotopes, une aide précieuse pour la détection des fraudes
L’AIEA a lancé en 2019 un projet pour aider les pays à utiliser l’analyse des isotopes stables. En quoi consiste cette technique? Chaque élément a une identité chimique définie par sa composition atomique, c’est-à-dire par les neutrons, protons et électrons dont il est constitué. On appelle «isotopes» les atomes qui ont le même nombre de protons, mais un nombre différent de neutrons. Les isotopes stables ne sont pas radioactifs et peuvent être utilisés dans un large éventail d’applications, telles que la criminalistique alimentaire et la détection des fraudes alimentaires. Ils sont mesurés à l’aide de la spectrométrie de masse à rapport isotopique (IRMS, pour isotope-ratio mass spectrometry).
L’IRMS est utilisée pour mesurer le rapport isotopique, c’est-à-dire l’abondance relative des isotopes stables d’un élément chimique – tel que l’hydrogène, l’oxygène ou le carbone – dans un échantillon, de même que la concentration de tel ou tel élément dans ledit échantillon. Elle permet de détecter des différences infimes dans le rapport entre les formes lourdes et les formes légères des isotopes. Les rapports isotopiques sont les ‹empreintes digitales› ou les signatures de la nature dans les aliments, explique l’AIEA. Par exemple, dans les truffes blanches slovènes évoquées plus haut, les rapports isotopiques ne sont pas les mêmes que dans des truffes bon marché importées d’Asie. Grâce aux preuves invisibles que constituent les rapports isotopiques, il est possible de déterminer si les aliments contiennent ou non les composants inscrits sur l’étiquette. Les incohérences par rapport aux signatures isotopiques attendues d’un produit sont les signes d’une contrefaçon. L’IRMS permet également de tirer des conclusions sur le processus de production et de distinguer les aliments biologiques des aliments conventionnels.

Neben der Isotopenverhältnis-Massenspektrometrie gibt es auch Schnellsc géographique de l’aliment examiné. Selon l’AIEA, il faut en principe disposer pour cela d’une base de données contenant les valeurs de référence de produits authentiques avec lesquels l’échantillon peut être comparé. Néanmoins, des recherches récentes visent à prédire les signatures isotopiques à l’aide des données climatiques relatives à un lieu donné, afin d’éviter de devoir constituer de coûteuses bases de données de référence. Outre la spectrométrie de masse à rapport isotopique, il existe également des méthodes de dépistage rapide pour les aliments. Par exemple, en Slovénie, l’AIEA a utilisé la spectroscopie infrarouge et d’autres techniques telles que la spectroscopie de mobilité ionique par chromatographie en phase gazeuse en espace de tête pour analyser des échantillons d’huile d’olive en laboratoire ou directement sur le terrain.
Informations complémentaires sur la situation en Suisse
On l’a vu, la Suisse n’est pas épargnée par la fraude alimentaire. Elle a notamment été touchée par le scandale alimentaire européen de 2013 concernant l’étiquetage frauduleux de barquettes de lasagnes, qui contenaient de la viande de cheval non déclarée en plus de la viande de bœuf mentionnée sur l’étiquette.
Entre juillet 2019 et novembre 2021, l’UE a mené, avec la participation de la Suisse, une campagne de contrôle des épices et des herbes aromatiques. Selon l’Office fédéral de la sécurité alimentaire et des affaires vétérinaires (OSAV), des incohérences ont été identifiées dans des échantillons provenant de notre pays.
En 2021, pas moins de trois interventions parlementaires visant à renforcer à la fois les contrôles et la coopération avec les autorités européennes ont été approuvées.
Toujours en 2021, de nombreux médias ont rapporté que des botanistes de l’Université de Bâle avaient développé une méthode permettant de déceler les indications d’origine frauduleuses. Il s’agit de l’analyse par la méthode des isotopes stables de l’oxygène mentionnée dans le texte. Pour éviter de devoir développer des bases de données de référence coûteuses, les chercheurs ont mis au point un modèle informatique qui permet de calculer le rapport isotopique de l’oxygène attendu dans une plante à l’aide de données météorologiques et d’informations sur sa période de croissance.
Auteur
B.G. nach IAEO, Online-Artikel: «IAEA Launches Project to Help Countries Fight Food Fraud», 22. Mai 2019; und Artikel im IAEO-Bulletin, Volume 65-2: «The Top Three Food Frauds and how Nuclear Scientists can Help Detect them», September 2024; Online-Artikel «What Is Food Fraud, and How Can Nuclear Science Detect It?», 19. August 2024, sowie weiteren Quellen