Financement: rien n’est possible sans une stratégie efficace
Les centrales nucléaires n’apparaissent pas d’un coup de baguette magique. La préparation, la planification et la réalisation de leur construction s’inscrivent dans un environnement politique et économique complexe. L’Agence pour l’énergie nucléaire (AEN) de l’OCDE vient de publier une étude sur les stratégies qui permettent ou facilitent le financement réussi de grandes installations nucléaires. L’État est toujours de la partie, sous une forme ou une autre.

Dans de nombreux pays, le marché de l’électricité a été libéralisé et restructuré au fil des décennies, ce qui n’est pas sans effets sur les investissements dans de nouvelles centrales nucléaires. Aux États-Unis et en Europe, les projets de construction sont confrontés à des dépassements de coûts et à des retards parfois massifs, ce qui aggrave encore la situation. C’est dans ce contexte que l’AEN a publié cet automne l’étude «Effective Frameworks and Strategies for Financing Nuclear New Build». En se fondant sur huit études de cas, elle met en lumière différentes situations de départ et stratégies de financement pour la construction de tranches nucléaires d’une puissance supérieure à 1000 MWe. L’étude prend en compte à la fois des projets achevés (Barakah, Olkiluoto, Vogtle), des projets encore en construction (Akkuyu, Hinkley Point C) et des projets qui n’en sont encore qu’au stade de la planification (Dukovany, Paks, Sizewell C).
Le coût du capital joue un rôle majeur
«À côté des chaînes d’approvisionnement et du personnel qualifié, le financement est sans aucun doute l’un des défis les plus difficiles à relever pour développer l’énergie nucléaire dans le monde», écrivent les auteurs. Dans le cas des centrales nucléaires, la planification et la construction représentent la majeure partie des coûts. Une fois l’installation achevée, les coûts sont relativement stables, car les fluctuations du prix de l’uranium n’ont que peu d’impact.
Les auteurs rappellent donc que les conditions de financement et la durée de la construction sont les principaux facteurs qui influent sur le coût moyen de production de l’électricité (levelised cost of electricity, LCOE), c’est-à-dire sur la compétitivité de la nouvelle centrale nucléaire. «Ainsi, avec un taux d’intérêt de 9%, le coût du capital peut représenter les deux tiers du prix de revient de l’électricité produite […], alors que si ce taux peut être abaissé à 3%, l’impact du coût du capital passe à moins d’un tiers du coût de production du courant», indique le rapport. Par conséquent, la gestion des risques, ou plus précisément la répartition des différents risques liés au projet de construction, revêt une importance capitale. En effet, plus le risque est grand, plus les investisseurs privés exigent des taux d’intérêt élevés.
Le niveau d’engagement de l’État varie considérablement d’un cas à l’autre
Les exemples de cas sélectionnés (voir graphique) témoignent de la diversité des mécanismes de financement. Dans le cas de Barakah ou de Dukovany, par exemple, l’État a lui-même mis à disposition des moyens importants pour atteindre des objectifs nationaux tels que la sécurité d’approvisionnement ou la décarbonation. Les projets Olkiluoto et Vogtle étaient quant à eux intégrés au marché et garantis financièrement par l’État, qui poursuivait les mêmes objectifs. Il arrive aussi parfois que le constructeur de l’installation figure parmi les principaux investisseurs, comme le montrent les exemples d’Akkuyu (Rosatom), de Barakah (Kepco) et de Hinkley Point C (EDF). Dans le cas de Sizewell C, EDF a cependant déclaré qu’elle ne pourrait pas contribuer au financement de l’installation dans la même mesure que pour Hinkley Point, ce qui a amené le gouvernement britannique à élaborer un modèle légèrement différent afin d’attirer d’autres investisseurs.
De manière générale, l’État joue un rôle significatif en matière d’atténuation financière des risques. Il s’agit le plus souvent de la mise à disposition de fonds propres. Mais il peut aussi s’agir de garanties pour un financement externe. Il ressort de l’étude de l’AEN que les risques liés à la construction sont ceux qui présentent le degré de complexité le plus élevé et qui ont les impacts les plus forts sur les acteurs concernés. Ce sont les bailleurs de fonds propres qui y sont les plus exposés. «Les projets de construction récents montrent que les investisseurs privés sont difficiles à trouver et que l’engagement de l’État augmente», indiquent les auteurs. Les cas étudiés montrent néanmoins que les États essaient de créer des incitations à l’intention des investisseurs privés au travers d’une réglementation favorable à la construction, de garanties de crédit et d’avantages fiscaux.

Plus l’expérience augmente, plus les risques diminuent
Dans les huit cas étudiés, les pouvoirs publics ont fourni un soutien, soit en tant que bailleurs de fonds, soit en participant à la prise en charge des risques financiers. Les auteurs estiment néanmoins qu’à l’avenir, les projets de construction devraient séduire davantage d’investisseurs privés, car l’expérience en matière de construction de réacteurs augmente et les chaînes d’approvisionnement gagnent en fiabilité. On sait que la construction du premier EPR d’Europe et des deux premiers AP1000 américains a souffert des lacunes en la matière. Il est donc essentiel, comme le souligne le rapport, de mettre en place des stratégies visant à limiter les dépassements de coûts et les retards.
Du souffle et une large assise sont des éléments indispensables
Les auteurs tirent les conclusions suivantes de l’analyse des huit cas:
- Le cadre financier d’un pays ne peut en aucun cas résoudre d’éventuels problèmes structurels issus du processus de planification. Un engagement national à long terme en faveur du nucléaire et un processus de préparation rigoureux lors de la phase de planification sont indispensables. L’échec d’un projet de construction avant la décision finale d’investissement n’est pas forcément un problème de financement. Il est plus vraisemblable que la discussion sur le financement menée en amont a mis en évidence des problèmes structurels qui restent à résoudre.
- L’élément clé est de réduire au maximum les risques de dépassement budgétaire et de retards avant le début de la construction, en se concentrant en particulier sur les parties prenantes les mieux placées pour le faire, de manière à attirer des sources de financement supplémentaires et à réduire le coût du capital. Ces deux types de risques méritent la plus grande attention lors du choix du mécanisme de financement le mieux adapté. Les cas étudiés montrent néanmoins qu’il faut trouver un équilibre entre la capacité à atténuer ces risques avant la construction et la capacité à les absorber pendant la construction.
- Le principe directeur doit toujours être d’assurer la convergence des intérêts de toutes les parties prenantes. «Le recours à l’énergie nucléaire nécessite une réflexion globale sur le financement, la sûreté, l’environnement et le contexte géopolitique, de sorte qu’il est essentiel d’impliquer dans le projet les différentes parties prenantes (État, autorités de surveillance, communautés locales et investisseurs) sur une longue période», écrivent les auteurs
Auteur
M.S./D.B. d’après OCDE/AEN, étude «Effective Frameworks and Strategies for Financing Nuclear New Build». AEN No. 7684, Paris 2024