Approvisionnement en électricité: «Une réévaluation du rôle de l’énergie nucléaire est légitime et pertinente»
Assemblée annuelle 2022 du Forum nucléaire suisse
L’assemblée annuelle du Forum nucléaire suisse qui s’est tenue le 10 mai 2022 à Berne s’est inscrite dans les débats actuels sur l’approvisionnement électrique du pays et le rôle de l’énergie nucléaire. Le président de l’association, Hans-Ulrich Bigler, a de nouveau plaidé en faveur d’un débat technologique sans préjuger des résultats, et de la coexistence de l’énergie nucléaire et des énergies renouvelables. Des intervenants extérieurs sont venus éclairer le sujet des points de vue économique et juridique. La position du secteur solaire a également été exposée.
Le nucléaire est de plus en plus envisagé comme option dans le débat sur l’approvisionnement électrique de la Suisse. C’est ce que révèlent deux enquêtes réalisées auprès d’un échantillon représentatif, citées en introduction par le président du Forum nucléaire suisse, Hans-Ulrich Bigler. Leurs résultats font apparaître un équilibre entre les opposants et les partisans de cette technologie.
Pas d’interdiction de requalification des options
Évoquant l’avenir de l’approvisionnement électrique, Hans-Ulrich Bigler a souligné que les conditions se sont modifiées en raison des risques de plus en plus tangibles de pénuries d’électricité, de la multiplication des mises en garde sur le climat et, tout récemment, de la guerre en Ukraine. «Dans ce contexte, une réévaluation du rôle de l’énergie nucléaire est non seulement légitime, mais pertinente», a-t-il déclaré. Si l’issue du référendum sur la Stratégie énergétique 2050 doit être respectée, rien n’interdit de formuler des propositions d’optimisations ni d’envisager l’énergie nucléaire comme option.
Selon plusieurs estimations, la Suisse pourrait voir ses besoins en électricité augmenter de près de 70% d’ici 2050, la Confédération faisant état de pénuries de courant dès 2025. Ces scénarios ont également été avancés par un groupe de travail du Forum nucléaire suisse, dans un livre blanc publié en juin 2021. Se référant aux conséquences du conflit en Ukraine sur les marchés mondiaux de l’énergie, Hans-Ulrich Bigler a soulevé la question de la nécessité, pour la Suisse, de s’engager sur la voie de la production fossile d’électricité pour réduire sa dépendance vis-à-vis du gaz russe.
La Suisse à contrecourant en matière de politique énergétique?
En Europe, nombre de pays misent nouvellement ou de nouveau sur l’atome: la Grande-Bretagne entend construire jusqu’à huit nouvelles centrales nucléaires, raccordées graduellement au réseau (une par année); la France a lancé une offensive nucléaire en annonçant la construction de six à quatorze nouveaux réacteurs; l’entrée de la Pologne dans l’ère du nucléaire ne cesse de se concrétiser; le gouvernement de coalition néerlandais prévoit la construction de deux centrales nucléaires; la Belgique a repoussé de dix ans sa sortie du nucléaire, initialement prévue en 2025.
Hans-Ulrich Bigler: «La question qui doit être posée aux opposants au nucléaire en Suisse est la suivante: ces pays sont-ils incapables d’élaborer une politique énergétique et climatique sensée, n’est-ce pas plutôt la Suisse et l’Allemagne qui manœuvrent à contrecourant en matière de production sûre et écologique d’électricité?»
Le président de l’association a par ailleurs demandé que l’on reconsidère l’interdiction de construire de nouvelles centrales nucléaires. «Certains partis sont pour, d’autres contre; quant aux entreprises – on peut le comprendre – elles sont sceptiques. Quand on parle de nucléaire, on a toujours affaire à des idéologies contrastées, cela suscite souvent des réactions réflexes standard.» Selon lui, le débat ne devrait pas se limiter à la question contre-productive du choix entre le nucléaire et les énergies renouvelables. «Le fait d’opposer les technologies ne nous mènera nulle part.» Il faut repenser la stratégie énergétique pour intégrer toutes les technologies et n’en exclure aucune a priori. Les technologies doivent en premier lieu être jugées à l’aune des critères de la sécurité de l’approvisionnement et de la protection du climat. Rappelant la présence d’invités du secteur solaire, Hans-Ulrich Bigler a montré que le Forum nucléaire suisse n’a pas peur de se confronter à d’autres points de vue et est prêt à s’engager dans toute forme de discussion.
Qui est responsable de la sécurité d’approvisionnement?
Premier invité à intervenir, Rudolf Minsch, directeur suppléant d’Economiesuisse, a présenté les exigences posées par l’économie suisse en matière d’approvisionnement électrique, à savoir la fiabilité, l’accessibilité en termes de coûts et la protection du climat. Il a par ailleurs brièvement décrit les cinq piliers fondamentaux de l’approvisionnement électrique proposés récemment par Economiesuisse, Scienceindustries et Swissmem, au premier rang desquels la sécurité de l’approvisionnement, la protection du climat et l’ouverture technologique. Dans ce contexte, Rudolf Minsch a lui aussi cité l’énergie nucléaire: «Tant que leur sécurité est garantie, les centrales existantes doivent continuer d’être exploitées.» Si elles sont mises à l’arrêt trop tôt, nous risquons d’être confrontés à des pénuries d’électricité dès 2035, situation qui devra être compensée par des importations.
La parole a ensuite été donnée à Peter Hettich, professeur de droit public à l’Université de St.-Gall, qui a abordé la question de la responsabilité de la sécurité d’approvisionnement du point de vue juridique. Répondre à cette question est délicat, en partie parce que le secteur suisse de l’énergie réunit une grande diversité d’acteurs à différents niveaux. Après avoir rappelé que la responsabilité en matière d’établissement de conditions-cadres favorables incombe clairement à la Confédération, Peter Hettich a qualifié l’annonce de l’investissement dans des centrales au gaz de «déclaration de faillite». L’universitaire considère que la mise à l’arrêt des centrales nucléaires au bout de 50 ans telle que décidée dans la stratégie énergétique n’est plus d’actualité, une exploitation pendant 60 ans étant plus réaliste. «L’effet pervers est que nous devons continuer d’exploiter de vieilles centrales, mais que nous n’avons pas le droit d’en construire de nouvelles.» La question épineuse est de savoir s’il faut recourir aux centrales au gaz ou aux centrales nucléaires pour pallier les déficits d’électricité.
Le conseiller national Roger Nordmann (PS/VD) a, pour sa part, évoqué comment la sécurité d’approvisionnement en hiver peut être assurée avec le photovoltaïque. Le potentiel d’approvisionnement électrique via l’énergie solaire est certes énorme en Suisse, cependant il faudrait accélérer considérablement la construction d'installations photovoltaïques (x 17 par rapport à 2020) et trouver une solution pour la fourniture de courant en hiver. Les déficits pourraient notamment être comblés par des solutions Power-to-Gas. Dans le pire des cas, 9 térawattheures de courant d’origine fossile (gaz) seraient nécessaires pour couvrir les besoins. Grâce à la décarbonation en cours dans les autres secteurs, notamment les transports et le bâtiment, une réduction de 86% des émissions de CO2 serait malgré tout possible.
Lors de la discussion qui a suivi entre les conseillers nationaux Albert Rösti (UDC/BE), Jürg Grossen (vert’libéraux Suisse/BE) et Roger Nordmann (SP/VD), et Hans-Ulrich Bigler, il a été également question de l’interdiction de construire de nouvelles centrales nucléaires. Pour Albert Rösti et Hans-Ulrich Bigler, cette réglementation constitue une interdiction technologique qui doit être levée pour permettre le recours au nucléaire à long terme: «Si nous ne la supprimons pas, nous passerons à côté de la nouvelle génération de réacteurs nucléaires», estime Albert Rösti. Roger Nordmann considère pour sa part l’interdiction comme légitime, notamment en raison de la densité urbaine en Suisse. «En France, les centrales se situent en moyenne à 50 kilomètres des agglomérations. Ce n’est pas possible en Suisse.»
Jürg Grossen n’exclut, quant à lui, pas totalement le recours au nucléaire à l’avenir. «Si nous constatons que de nouvelles technologies sont bien meilleures et présentent moins de risques, alors je peux tout à fait imaginer que nous fassions sauter les barrières. La technologie actuelle n’est pas satisfaisante.»
L'enregistrement de l'assemblée annuelle (en allemand) est disponible sur YouTube.
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